La marche inaugurale du chemin « Sur les Pas de Marie-Madeleine », du 12 mai au 20 mai 2022
Dans les pas de la Madeleine
Jeudi 12 mai : les Saintes-Maries-de-la-Mer
Les Saintes-Maries-de-la-Mer étaient en effervescence ce jeudi 12 mai 2022. Sainte Marie-Madeleine s’apprêtait à débarquer au Port-Gardian où se bousculait une foule compacte de pèlerins et de badauds autour de Christelle Aillet, Maire de la ville, accompagnée de tout son conseil municipal. La sainte venait visiter ses anciennes compagnes de voyage, saintes Marie-Jacobé et Marie-Salomé, restées au pays depuis le 1er siècle, et qu’elle n’avait pas revues depuis 2000 ans ! L’archevêque d’Arles et Aix, Mgr Christophe Dufour, avait lui aussi fait le déplacement afin d’accueillir en personne la sainte à son débarquement puis l’accompagner jusqu’à l’église-forteresse, Notre-Dame-de-la-Mer.
Les pèlerins venus accueillir la Madeleine s’apprêtaient à partir dans les pas de la sainte, suivant le chemin qui l’avait conduite jadis jusqu’à Marseille, puis jusqu’à la Grotte de la Sainte-Baume où elle vécut les trente dernières années de sa vie, avant son inhumation à Saint-Maximin. Un long chemin d’environ 240 km qu’ils entendaient parcourir en deux temps : d’abord jusqu’à Marseille où Marie-Madeleine prêcha la Bonne Nouvelle aux Marseillais, puis, dans une année, jusqu’à son tombeau à Saint-Maximin : “Troisième tombeau de la Chrétienté” après ceux de Jérusalem et de Rome, dit-on. Le départ officiel de cette “marche inaugurale” était prévu le lendemain 13 mai 2022. Deux associations provençales ont uni leurs forces pour mener à bien ce projet : “Les Chemins des Saintes-et-Saints-de-Provence” basée aux Saintes-Maries-de-la-Mer et “l’Association-de-Soutien-à-la-Tradition-des-Saints-de-Provence” basée à la Sainte-Baume. La première, présidée par Cyril Boland, qui avait imaginé le projet et réglé ses aspects techniques, projet développé dans ses aspects spirituels et relationnels par Martine Guillot, jusqu’à son inauguration et l’organisation de cette marche. La seconde, présidée par Martine Racine, l’enracinait en quelque sorte, dans la grande tradition des Saints de Provence. Deux Martine déterminées pour lors à mener leurs pèlerins respectifs à bon port.
Soulignons également le soutien et l’extrême efficacité du Président de la Région Sud, Renaud Muselier, et de ses collaborateurs en lien avec le Comité Régional de Tourisme et ses partenaires habituels que sont, en la circonstance, la Fédération Française de Randonnée Pédestre et les deux Parcs Naturels Régionaux de Camargue et de la Sainte-Baume, sans lesquels le projet n’aurait jamais pu voir le jour.
Mais revenons aux Saintes et à ce grand jour où sainte Marie-Madeleine vient à nouveau poser le pied, si l’on peut dire, sur le sol de Camargue après deux millénaires d’absence. Ce sont les frères Dominicains de la Sainte-Baume qui accompagnent ce jour-là les précieuses reliques de la sainte.
Le voilier qui les apporte – le Tatanka – avait cette fois-ci une voile, contrairement à l’esquif qui était arrivé vers l’an 43 – sous l’Empire de Claude – lequel n’avait, selon la Tradition, ni voile ni gouvernail, poussé par la seule Providence divine depuis les côtes de Palestine. Sur le quai, les bannières de plusieurs confréries se sont déployées : celle des Saintes-Maries et celle de Beaucaire. L’évêque et Madame le Maire, avec les présidents d’association, accueillent le reliquaire au pied de l’échelle du bateau sur les musiques de Michel Garnier “Marie de Magdala” et “l’Arrivée aux Saintes”. Le moment est solennel !
A peine débarqué, le reliquaire est chargé sur les épaules de pèlerins, aussitôt encadré par les deux Martine et le groupe des marcheurs. La procession jusqu’à l’église s’ébranle alors, bannières et reliques de Marie-Madeleine en tête, suivies d’un groupe de jeunes filles arlésiennes en tenue traditionnelle, puis d’une immense foule bigarrée accourue pour l’évènement. Cantiques et chants à Marie-Madeleine accompagnent le cortège à travers la ville jusqu’au portail grand ouvert de l’église. Le père-curé des Saintes-Maries, Don Emmanuel Lemière, accueille avec une joie rayonnante la sainte visiteuse, et fait installer son reliquaire au plus près de celui des saintes Maries-Jacobé et Salomé, resté au balcon de la Chapelle-Haute qui surplombe l’autel.
Et c’est ainsi qu’une partie de la Famille de Béthanie est réunie. D’autres membres de la famille rencontreront à leur tour la sainte : saint Lazare à Marseille puis, plus tard, saints Maximin et Sidoine à Saint-Maximin… Pour l’heure, la foule envahit doucement l’église et s’installe. Les travées s’emplissent, les lectures et les oraisons se succèdent ; les chants s’enchainent, la ferveur enfle et gagne les cœurs présents. Après la messe, une super paëlla est servie au presbytère suivie d’une veillée de prière à l’église. Les pèlerins se succèdent ensuite auprès des saintes myrophores jusques tard dans la nuit afin de veiller leurs reliques.
Vendredi 13 mai : Salin-de-Giraud
5h30, les pèlerins s’éveillent. La nuit fut courte mais l’enthousiasme est intact ; une messe d’envoi à 6h, suivie d’une bénédiction des pèlerins stimule les marcheurs. Après un petit déjeuner copieux, le “top départ” est donné à 7h00 ; les pèlerins s’élancent en direction de Marseille guidés, tout au long du parcours par Olivier qui avait préalablement reconnu l’itinéraire. Cyril et Marie ouvrent la voie.
La Camargue déploie ses charmes. Le père Don Emmanuel, la soutane au vent, entonne le premier chant tandis que les premiers flamants roses apparaissent dans les étangs. Le chemin suit les digues, rectiligne et à perte de vue. Le soleil aiguillonne les marcheurs de ses rayons brûlants. Pas un arbre à l’horizon ; Les jambes s’alourdissent et le souffle ralentit. Chacun scrute alors l’horizon à la recherche du fameux phare de la Gacholle près duquel on doit s’arrêter pique-niquer. Mais il se fait attendre ! Enfin, la civilisation surgit… avec une aire de repos et les toutes premières voitures ; on sort les sandwiches du sac. Quelques pieds refusent de repartir mais les voitures de Martine et de Mario (conduite par Claire-Françoise) sont là pour ramasser les organismes épuisés. Annelyse rappelle à tous qu’un pot de bienvenue est prévu à l’étape de Salin à 17h précises.
Salin-de-Giraud, créé vers 1856 par l’implantation de la société Henry Merle, chargée de collecter et fournir le sel à l’usine chimique de Salindre (Gard) pour le transformer en carbonate de soude. Le site passera sous le contrôle de Péchiney puis des Salins du Midi, rejoint plus tard par chimiste belge Solvay. Les cités ouvrières qui fleurissent dès la fin du XIXe siècle, construites par les premiers saulniers venus du nord, valent au village le surnom de “Corons de Camargues”. Mais la saignée de la Première Guerre mondiale oblige les employeurs à recruter des communautés venues d’ailleurs : des Espagnols, des Russes puis des Baltes ou des Arméniens fuyant le génocide… La “catastrophe de Smyrne” et la répression sanglante des “Jeunes Turc” en Asie Mineure, entraîne aussi l’immigration de Grecs, pêcheurs d’éponges, venus de l’île de Kalymnos dans le Dodécanèse. D’abord logés avec leurs frères Arméniens, ceux-ci conservent leurs traditions et leur religion et construisent en 1952 leur église – Dormition-de-la-Vierge – au milieu des salines… celle que visitent aujourd’hui les marcheurs guidés par Hélène, fidèle active de la petite communauté grecque-orthodoxe de Salin.
Samedi 14 mai : Fos-sur-Mer
Il fait à peine jour lorsque les marcheurs se présentent au bac de
pour traverser le Rhône. Le brouillard est à couper au couteau, à peine distinguent-ils la passerelle d’embarquement. Le brouillard se dissipe avant d’atteindre l’autre rive, un peu au nord de Port-Saint-Louis-du-Rhône. A l’écluse, il faut passer sur la rive nord du canal du Rhône à Fos, et suivre la voie de navigation jusqu’à celui d’Arles à Bouc, qu’il faut aussi enjamber. Durant le pique-nique de midi sous des pins, Régine fait circuler un exemplaire de “La Provence” relatant le débarquement des reliques de Marie-Madeleine et les célébrations de l’avant-veille aux Saintes-Maries-de-la Mer. Les commentaires fusent, stimulant la bonne humeur des pèlerins.
Déjà loin de la Camargue, les marcheurs cheminent maintenant dans un univers pétrochimique et industriel en réalisant concrètement que l’écluse franchie et le canal à grand gabarit qu’ils suivent depuis le matin, ont fait du bassin un point clé du trafic fluvial et fluvio-maritime entre l’Europe et la Méditerranée. En dépit de cet environnement hostile à la méditation et d’ampoules apparues subrepticement sur quelques pieds, le moral n’est pas atteint.
Un dîner fabuleux, qui fait rapidement oublier la fatigue, est organisé le soir dans la salle paroissiale de Fos. L’ambiance est sympathique ; les anecdotes et les plaisanteries vont bon train. Les matelas pneumatiques sont alors gonflés et les sacs de couchage déroulés afin de passer une nuit paisible sur place.
Dimanche 15 mai : Martigues
Après un petit déjeuner au Bar des Amis,
le bien nommé, agrémenté de pâtisseries et viennoiseries apportées par Martine, les pèlerins attrapent leurs bâtons et entament leur troisième étape.
Le départ de Fos permet d’apercevoir les principales curiosités de la ville, notamment l’église Saint-Sauveur construite sur le rocher de l’Hauture que les marcheurs contournent, faisant immanquablement penser à la proue d’un navire. Au nord de la ville, ils abordent alors la longue digue du Rocher de Mègle qui traverse l’Etang de l’Estomac (du latin Stoma limna = bouche des marécages, ayant donné Estomac) puis le chemin de Mourre Poussiou jusqu’à la Table d’orientation. Une montée forestière conduit tranquillement les marcheurs au site archéologique étrusque de Saint-Blaise, hélas fermé pour cause de restauration. Les pèlerins ne peuvent donc pas visiter cet oppidum hors normes, à la fois colonie, comptoir (emporion) et ville de garnison, dont les piliers porte-crânes (vieille coutume barbare des têtes-coupées) avaient été réemployés pour construire une poterne dans le mur d’enceinte… l’intérêt se porte alors sur la chapelle Saint-Blaise voisine, l’une des plus vieilles de France dit-on, remaniée au XVIe et restaurée au XIXe siècles, comptant parmi les églises paléochrétiennes les plus remarquables du Midi de la France.
La route est cependant encore longue jusqu’à l’étape de Martigues.
Quelques pèlerins fatigués finissent en voiture et en profitent pour visiter Saint-Mitre-les-Remparts, notamment son église paroissiale (XIIe siècle plusieurs fois remaniée et restaurée) présentant, sur la droite du chœur, une statue de saint Mitre portant sa tête dans les bras. Saint Céphalophore donc, à l’instar de Saint Denis, sainte Quitterie ou sainte Valérie. Originaire de Grèce, Mitre veut être des plus pauvres. Arrivé en Provence, il se fit esclave d’un riche romain et travaille dans les vignes. Son maître, apprenant qu’il est chrétien lui tend un piège pour le faire condamner pour vol. Mais, lorsque les raisins arrachés repoussent dans la nuit, il n’y a plus de preuves contre Mitre. Alors, le maître le fait condamner à mort pour sorcellerie en 466 ; il est décapité à Aix. Prenant sa tête entre ses mains, Mitre se relève et la porte jusqu’à l’autel de l’église cathédrale de la Seds.
Plusieurs paroisses viticoles de Provence se placèrent alors sous son patronage pour s’assurer l’intervention de la grâce divine en faveur de leurs cépages. Et comme dans la plupart des sanctuaires “saints”, une source apparaît sur les lieux ; celle de Saint-Mitre alimente encore la Fontaine des Trois-Canons et un magnifique lavoir municipal.
Martigues, les pèlerins arrivent à la Maison Saint-François épuisés, sauf peut-être Véronique et Denis marcheurs expérimentés au long cours pour lesquels cette randonnée semble être une promenade de santé. Claire, victime d’un claquage sévère au mollet, arrête de marcher. Une étape éprouvante donc pour la plupart des autres, qui aurait dû se terminer à Saint-Mitre. L’accueil est chaleureux et les rafraichissements bienvenus. Un repas a été préparé par les paroissiens, qui offrent en sus un hébergement pour la nuit à tous les marcheurs.
Nicolas, historien local, propose une visite du centre historique de Martigues ; les moins fatigués lui emboitent le pas. Nommée la “Venise provençale”, la ville s’étend sur les rives de l’étang de Berre et celles du canal de Caronte qui relie l’étang à la mer Méditerranée. Elle est composée de trois quartiers historiques : Jonquières, Ferrières et l’Île ; on parlait encore “des Martigues” au XIXe siècle.
La balade mène les pèlerins à l’église Saint-Louis-d’Anjou, première paroisse de Martigues à Ferrières, puis au panorama du ‘Miroir-aux-Oiseaux” sur l’Île. La soirée se conclue par une veillée à l’église Sainte Marie-Madeleine à l’Île, longtemps appelée “Cathédrale” par les Martégaux. La Madeleine est l’église la plus imposante, tant par son architecture que par ses décors d’influence italienne. Elle témoigne de la prospérité de la ville au XVIIe siècle. Récemment restaurée, son imposante façade à colonnes corinthiennes soutenant d’impressionnantes corniches à modillons en impose aux visiteurs.
Quant à l’intérieur, richement orné de peintures murales et de boiseries, avec un orgue tout aussi impressionnant de 1500 tuyaux, éblouit les pèlerins. Mais le clou de la soirée, est assurément la conférence magistrale de Pascale Léger, contant à ses amis de marche et aux familles d’accueil présentes la fabuleuse histoire de Marie-Madeleine. Soirée inoubliable pour les pèlerins aussitôt enlevés, à l’issue de la conférence, par leurs hébergeurs d’un soir.
Lundi 16 mai : La Couronne (Bastide des Joncas)
Mgr Dufour, archevêque d’Arles, avait décidé de marcher une journée avec les pèlerins de la marche inaugurale. Après la bénédiction d’envoi par le père Michel Isoard, les marcheurs et l’évêque s’élancent pour une nouvelle journée sur les chemins ; quelques marcheurs locaux se joignent au groupe, telle Marie-Jo, randonneuse aguérie, membre d’une association jacquaire provençale connue.
Première étape : la chapelle Saint-Pierre, émergeant progressivement d’une pinède, récemment restaurée, voisine les vestiges d’un oppidum gaulois du premier siècle. Second arrêt, l’église Saint-Jean-Baptiste à la Couronne, dite des “Traceurs de pierre”. Edifiée en 1664 par les ouvriers carriers de l’anse du Verdon à Carro, leurs marques subsistent encore sur le clocher.
Les pierres extraites des carrières toujours actives, servent aujourd’hui à la rénovation des bâtiments marseillais.
Après le départ de Mgr Dufour, les pèlerins descendent vers la Bastide des Joncas, village de vacances pour la soirée et la nuit ; Daniel, épuisé, arrête de marcher. Il accompagne aux Saintes-Maries-de-la-Mer, dans la voiture de Mario, Martine Racine et Claire qui stoppent aussi la randonnée ; Martine retrouvera le groupe à Marseille et Daniel récupère sa voiture afin de faire, dès le lendemain, la voiture-balai et porter les sacs des marcheurs jusqu’à Marseille ; il retrouve le groupe aux Joncas pour le dîner et la nuit.
Mardi 17 mai : Carry-le-Rouet
Laissant derrière eux le phare du cap Couronne, les marcheurs arrivent bientôt à la chapelle de Sainte-Croix, joyau historique de la marche “Dans les pas de Marie-Madeleine”.
Dominant l’anse de la Saulce, la chapelle avait été édifiée en mémoire de la sainte et de ses compagnons venus de Palestine au 1er siècle, à l’endroit où saint Lazare aurait planté la première croix en terre d’Occident.
Une plaque posée sur l’un des murs rappelle cet évènement : « Cette chapelle a été édifiée pour remplacer celle du XIIe siècle dont on voit encore les ruines en face. Elle rappelle la halte que, selon la Tradition, les Saintes Maries ont faite en ce lieu avant d’aller aborder définitivement en Camargue. C’est pourquoi cette falaise est encore appelée Sainte-Terre. Un petit berger, sourd-muet, a pu entendre et renseigner les pieux voyageurs qui cherchaient de l’eau ». Un fragment de la croix de Jésus-Christ serait abrité dans la chapelle ; un certificat d’authentification (1786-1869) de la relique de la « Vraie Croix » est affiché sur un autre mur. Le pèlerinage de Sainte-Croix était jadis très réputé : Le lieu a accueilli la duchesse de Berry en 1832 et trois confréries de Martigues venaient pieds nus faire pénitence les 3 mai et 14 septembre.
Reprenant leur marche sur la Côte-Bleue, les pèlerins gagnent le village de Sausset-les-Pins où ils sont accueillis, sur la corniche dominant le petit port, par le maire venu tout exprès les rencontrer en scooter. Danièle arrête de marcher et repart après le déjeuner avec Tony, un ami venu spécialement la chercher depuis les Saintes-Maries.
Le groupe se retrouve en fin d’après-midi à la chapelle Notre-Dame de Rouet (ou de l’Assomption), ouverte pour l’occasion par le président de l’association de protection du site. Michel, un paroissien de Carry, nous en conte l’histoire sous le regard attendri d’une Vierge assise, allaitante son enfant. Cette chapelle du XVIIe s. (date 1653 inscrite sur le linteau de la porte) restaurée et agrandie en 1877, menaçait ruine au sortir de la seconde guerre mondiale. Entièrement restaurée grâce à l’aide des Carryens, elle remplace une chapelle beaucoup plus ancienne qui avait connu les invasions sarrasines. Située sur un promontoire qui domine la plage du Rouet, la calanque des Eaux-Salées et la rade de Marseille, le site est grandiose et inspire la sérénité ; une invitation irrésistible au bivouac sous les étoiles…
Mercredi 18 mai : Marseille (L’Estaque et les Aygalades)
Il faut marcher quelques kilomètres pour le petit-déjeuner, pris dans un café de la calanque de la Redonne (Ensuès). Les calanques de la Côte-Bleue se succèdent alors jusqu’à l’Estaque : calanque des Anthénors, des Figuières ou de Méjean abritant la célébrissime grotte marine de Méjean. Les forts de Niolon (le Rove) et de Figuerolles complètent le parcours escarpé avant de retrouver la mer aux calanques des Aragnols puis de l’Establon. Une côte enchanteresse qui laissera un souvenir impérissable aux marcheurs.
Le rendez-vous des marcheurs et des pèlerins est fixé au Resquiadou sur l’ancienne route côtière esquivant le tunnel. Fameux tunnel
traversant le Rove, emprunté par les Marseillais qui se rendent à Sausset et dans lequel il est d’usage de klaxonner. Et si l’on demande à un Marseillais pourquoi il klaxonne, il vous répondra immanquablement : “parce qu’ici, Monsieur, on klaxonne ! ”. Profitant du temps d’attente avant l’arrivée des pèlerins, Jean-Louis et Daniel se rendent à l’ancienne église de la Nerthe (= myrthe, associée à la couronne d’Aphrodite déesse de l’amour), dite chapelle Notre-Dame-de-la-Galline, hélas fermée. Elle doit son nom à la statue en bois doré de la Viege assise qu’elle renferme, tenant l’Enfant-Jésus bénissant et tenant une poule sur son autre bras. Symbole de protection, la poule donne la vie et abrite ses poussins en cas de danger ; symbole d’autant plus justifié ici que la route, propice aux embuscades, qui reliait jadis Saint-Louis au Rove, longeait le vallon dit de “l’Assassin” pour atteindre la Nerthe. Cette protection, associée à celle de saint Roch, s’est vérifiée lors de la peste de 1720 qui n’a fait aucune victime à la Nerthe, à l’Estaque ou aux Riaux. Selon une légende, l’église primitive aurait été construite par saint Lazare au 1er siècle après son arrivée à Marseille.
Il semble plus probable qu’elle ait été édifiée au Moyen-Age et consacrée par l’évêque Pons II de Marseille le 3 mars 1042. Une messe y est célébrée un dimanche par mois, et un grand pèlerinage y est organisé chaque 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge avec, le dimanche suivant, une procession démarrant à l’Estaque à 9h puis montant jusqu’au hameau de la Galline. La grand’messe, célébrée sur la parvis de la chapelle à 11h, est suivie de festivités qui se poursuivent par un pique-nique tiré du sac et des vêpres à 15h. Une statue de sainte Sara est également présente dans la chapelle.
Arrivés au Resquiadou, les marcheurs s’entassent avec leurs bagages dans les trois voitures (Jean-Louis, Martine et Daniel) pour se rendre, tous ensemble, aux Aygalades. Ils y sont attendus par le père Martin Durin pour la messe à 19h, suivie du dîner préparé par des paroissiens ; paroissiens qui accueillent aussi les marcheurs chez eux pour leur première nuit à Marseille.
Jeudi 19 mai : Marseille
Après la messe de 9h, une mini-procession, veilleuse en main, est organisée jusqu’à la grotte adjacente dite de Marie-Madeleine, dans laquelle trône une belle statue de la sainte alongée reposant sa tête sur son coude. Chacun y dépose sa veilleuse ; un chant à Marie-Madeleine est entonné. Le père Martin accompagne alors les pèlerins pour une visite guidée dans le vallon des Aygalades. La Tradition rapporte que Marie-Madeleine, en route pour la SainteBaume, s’y serait arrêtée ou aurait séjourné sur le site, lequel comprend plusieurs grottes et une eau abondante. Son nom provient du latin aqua lata qui donna aigalada puis Aygalades, signifiant “eaux abondantes” en occitan. De fait, à proximité de l’ancien village, existait un torrent, dit ruisseau de la Caravelle, et deux cascades. L’une des fontaines, dite de Marie-Madeleine (1869), alimentée par une source du même nom, subsiste toujours près de l’église. Le domaine des “Cascades des Aygalades” situé à proximité, a été récemment restauré.
Après les cascades, la visite se poursuit vers la grotte ermitage, dite de Marie-Madeleine. A pied, l’accès est difficile ; un sentier à flanc de falaise, parallèle à l’autoroute, démarre près de la savonnerie et traverse le cimetière. On peut aussi apercevoir la grotte depuis l’autoroute A7 en direction de la Viste. Après la prise de Jérusalem en 1187, quelques frères Carmes quittent le Mont-Carmel (1238) afin de se rendre en Europe ; certains arrivent à Marseille vers 1244. Mireille se remémore alors son passage au Mont-Carmel à l’occasion d’un autre pèlerinage sur les pas de Marie-Madeleine en Terre sainte avec un groupe de Saint-Maximin. Les Carmes s’installent dans la grotte et y construisent un ermitage dont il ne reste plus que des ruines : une façade et quelques pans de murs. Ils construisent également leur couvent et une première église (1265) à l’emplacement de l’église actuelle. Cette dernière, reconstruite au XVIe siècle, subit plusieurs restaurations, dont la dernière au XIXe siècle. Sa façade, de type provençal classique tranche avec l’intérieur abondamment décoré : l’église est amputée du tiers de sa longueur par suite de la démolition de la coupole du Chœur qui menaçait ruine puis, après sa réfection en 1898, le curé Decanis engage le remaniement de sa décoration. Il recouvre les murs de peintures et y introduit plus de 300 statues. A noter les boiseries et les stalles avec des peintures de Serre, le maître-autel de Duparc et une belle chaire.
Après un déjeuner “champêtre” dans la cour de l’église, le groupe descend à travers la ville jusqu’à la cathédrale de la Major, dans la chapelle Saint-Lazare, afin de participer à la messe célébrée par le père Brunet. Des membres de l’Ordre de Saint-Lazare se joignent aux pèlerins pour la messe. Au-dessus de l’autel, trône la châsse contenant les reliques de saint Lazare, notamment celle de son “chef”, bien visible derrière une vitre.
La Tradition provençale affirme que Lazare était venu en Provence sur le même esquif que Marie-Madeleine et ses compagnons, et qu’il se serait installé définitivement à Marseille, devenant ainsi le premier évêque de la ville. Ses reliques, à l’exception de la tête, auraient été transférées à Autun (Saône-et-Loire) afin de les protéger des destructions sarrasines et normandes. En 1859, Mgr Eugène de Mazenod obtenait de l’évêque d’Autun la restitution de quelques reliques supplémentaires, parmi lesquelles un bras de saint Lazare placé solennellement dans une châsse séparée. L’évêque d’Autun apporta lui-même l’insigne relique à Marseille, accompagné d’une députation du chapitre à la très grande joie des fidèles marseillais. Des critiques se sont régulièrement élevées quant à l’identité de ce Lazare. D’aucuns prétendent qu’il s’agirait d’un autre Lazare, né au Ve siècle à Aix-en-Provence et nommé évêque dans des conditions troubles par l’usurpateur Constantin III. Il serait alors le premier moine-évêque de l’épiscopat provençal, mort à Aix le 31 août 441 ; sa sépulture aurait été transférée dans la crypte de Saint-Victor pour des raisons qui demeurent encore mystérieuses. C’est donc ce corps qui aurait été transféré à Autun. Il va sans dire que les tenants de la Tradition de Provence soutiennent que les reliques sont bien celles du Lazare de Judée et rejettent la version des critiques hostiles à la Tradition ; ces derniers, au contraire, soutiennent le Lazare d’Aix. La question divise toujours les Provençaux…
En fin de journée le groupe se rend à l’église orthodoxe Saint-Irénée dans le 10e arrondissement. Rattachée au Patriarcat Oecuménique de Constantinople, fondée par le père Cyrille Argenti (1917-1994), est dirigée depuis 2020 par le père Ambroise Nicoviotis. Le nom d’Irénée est celui de l’évêque de Lyon (135-202) originaire de Smyrne en Asie Mineure (Turquie actuelle), disciple de Polycarpe ayant reçu l’imposition de saint Jean lui-même. Le père Argenti, distingué “Juste parmi les Nations” en 1990 pour l’aide apportée à des Juifs durant la guerre, est nommé vicaire de la paroisse grecque de Marseille en 1950 et le premier à être autorisé à célébrer la divine liturgie (messe) en français. Il commence la construction de l’église Saint-Irénée en 1978. La grande salle de réunion du rez-de-chaussée est transformée en dortoir pour la nuit.
Vendredi 20 mai : Marseille
Les pèlerins participent à 7h30 à la divine liturgie, notamment aux lectures et aux nombreuses psalmodies, hymnes, louanges et autres tropaires, puis déjeunent dans une salle annexe. Après un saut aux Aygalades pour boucler les sacs, tous se retrouvent à Saint-Victor pour la grande cérémonie œcuménique à 11h30. Les reliques de Marie-Madeleine sont de nouveau apportées par les Dominicains de la Sainte-Baume La foule emplit peu à peu l’église, accueillie par le père Bernard Lucchesi, curé de la paroisse. Le Président de Région, Renaud Muselier et ses collaborateurs, le père Jean Gauthier et les maires de plusieurs communes traversées sont également présents. Claude, doyenne du groupe des marcheuses, est aussi là.
La célébration œcuménique est présidée par le père Laurent
Notareschi, délégué épiscopal pour l’œcuménisme entouré du pasteur protestant Jean-François Breyne, du diacre Cyril Boland marcheur-Président de l’association des Saintes-Maries et du père Ambroise Nicoviotis pour les Orthodoxes. Se succédant à l’ambon, ils font également part de leurs sentiments et développent leurs commentaires, tant au sujet des saintes Myrophores que de la marche inaugurale ; les prières qu’ils récitent résonnent jusqu’aux voutes de Saint-Victor. L’instant est solennel. L’émotion des pèlerins et de l’assistance est palpable.
Tous les participants sont ensuite invités à un vin d’honneur dans le jardin situé en face de Saint-Victor et qui surplombe le Vieux-Port. À la tribune se succèdent le Président de Région et les Présidents d’associations organisatrices : Cyril Boland et Martine Racine. Dans son discours, Renaud Muselier détaille le travail réalisé par ses équipes ainsi que les réalisations encore à venir : panneaux de signalisation installés sur tout le parcours aux endroits les plus stratégiques, brochures diverses, etc. ; une labellisation du chemin est espérée en 2023. Il constate la résurrection, par cette première marche, du pèlerinage à la Sainte-Baume qu’avaient déjà fait en leurs temps les rois saint Louis, François 1er ou encore Louis XIV. Il manifeste son ambition d’attirer sur cette nouvelle route de pèlerinage 100 000 pèlerins par an d’ici trois ans, et faire de cet itinéraire le 5e pèlerinage de la chrétienté après Jérusalem, Saint-Jacques-de-Compostelle, Rome et Lourdes ! L’enthousiasme communicatif du Président de Région ébranle un peu le scepticisme de certains participants ; il stimule en tout cas leurs commentaires au moment de lever leur verre…
Le pèlerinage partiel de cette année se termine définitivement autour
d’une table dans un restaurant marseillais voisin. Chacun repart alors vers son domicile promettant de se revoir en 2023 afin de marcher de nouveau ensemble de Marseille à la Sainte-Baume et Saint-Maximin.
Daniel SENEJOUX
Supporter de Marie-Madeleine et de la Tradition de Provence,
marcheur puis ramasseur de pèlerins fourbus