Pèlerinage de Sainte Marie-Madeleine à la Grotte et Messe solennelle du 22 Juillet 2021

Cette fête de Marie-Madeleine fut une premiere!

Jamais depuis l’inauguration de la Grotte pour Pâques en petit comité, la Grotte n’avait pu recevoir son public de Pèlerins fidèles …

Vous trouverez ici l’homélie du Père Xavier MANZANO, vicaire Général de Marseille.

SOLENNITE DE SAINTE MARIE MADELEINE
Grotte de la Sainte Baume
Jeudi 22 juillet 2021

« Marie ! ». Avec quel accent, frères et sœurs, le Seigneur a-t-il pu prononcer ce nom ! Et c’est la vraie rencontre qui se conclut alors, cette fois-ci sans retour : « Rabbouni ! », Maître ! Là est notre foi, là est notre conversion, là est notre espérance. Comme Marie-Madeleine, il nous faut nous retourner deux fois, une première fois de notre désespoir et une seconde, de nos faux espoirs, pour véritablement la vivre.

          Car Marie cherchait un mort à qui rendre les derniers devoirs : « On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis ». Son amour ne veut pas mourir mais il est plutôt une persistance qu’une espérance. Elle va voir les Apôtres qui constatent comme elle l’absence. Mais cela ne lui suffit pas. Alors que les deux hommes s’éloignent, elle reste là et elle pleure l’absent. Les anges ne la consolent pas car elle continue de chercher son mort : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l’ont déposé ! ». Ces deux Anges qui sont là, l’un aux pieds et l’autre à la tête, comme les Chérubins qui encadraient l’Arche d’Alliance, ne l’intéressent pas puisqu’entre eux, il n’y a personne, désespérément personne ! Et puis, elle sent une présence et « se retourne » : quelqu’un, qu’elle prend pour le jardinier. Un espoir de retrouver le mort, peut-être ? On peut imaginer avec quelle vigueur et quelle révolte elle l’interroge : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé et moi, j’irai le prendre ! » Son amour nourrit un espoir, bien maigre il faut le dire : retrouver le cadavre. C’est alors que Jésus prononce son nom et qu’elle se retourne une seconde fois : au-delà de l’espoir de retrouver un corps, l’espérance jaillit. Il est là ! C’est lui ! Elle veut l’étreindre mais Jésus va entraîner son amour ardent jusqu’au bout : « Ne me touche pas ! ». Isaac de l’Étoile commente : « Ne me touche pas : car, ‘dans ton cœur’, je ne suis pas encore remonté vers le Père : tu ne me cherches pas encore ‘chez le Père’ ; et c’est là qu’il faut me chercher »[1]. Il veut la tourner avec Lui vers le Père et l’introduire dans le cœur même de la Trinité, avec « tous ses frères », avec nous tous !

          Ce double retournement qui va du désespoir à l’espérance, en tuant les faux espoirs, c’est celui de la foi chrétienne, la vraie ! Pas celle qui fait de la Résurrection un appendice dont il faut bien parler le jour de Pâques mais dont elle se passe fort bien ! C’est parce que Marie ne cherche pas à se résigner et à faire taire son amour qu’elle peut recevoir ce don et vraiment se retourner. Car notre foi n’est pas une consolation. Elle n’est pas un petit truc pour nous sentir mieux. Elle n’est pas une évasion ésotérique s’appuyant sur l’espoir d’une vague survivance ectoplasmique de notre principe spirituel. Elle est l’amour qui affronte la mort. Par amour, nous nous battons pour des personnes, nous cherchons à leur éviter le mal et à leur offrir le bonheur : nous voulons qu’elles vivent ! Et la mort, au bout, vient tailler nos cœurs et nos efforts. L’amour qui ne veut pas mourir cherche alors encore mais, a priori, ne peut plus qu’embaumer de quelques parfums un corps inerte qui ne réagit plus. Survient alors l’intuition de l’autre monde, ces deux Anges qui n’encadrent que le vide et qui pourtant interrogent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? ». Intuition capitale mais qui peut s’avérer un piège ! Car l’amour est réaliste, il cherche un corps, une présence réelle et il faut bien entendre le cri lucide des désespérés, tel celui d’Albert Camus : « Tous les beaux discours sur l’âme vont recevoir ici, au moins pour un temps, la preuve par neuf de leur contraire. De ce corps inerte où une gifle ne marque plus, l’âme a disparu »[2]. Face à ce cri pourtant clair, il y a une infinité d’esquives dont la religion peut faire partie : elle devient alors une boutique de faux espoirs. Pour se rendre plus acceptable, elle peut sombrer dans des projections sur une vague survivance dans la mémoire ou éviter le sujet en se contentant d’être une petite morale à deux francs six sous. Franchement, qu’avons-nous à faire du Grand Architecte de l’Univers ou du Dieu gentil pote qui nous dit d’être gentils avec nos copains quand notre amour pleure ? Et qu’avons-nous à voir avec Lui quand, comble de blasphème, on en a fait un joueur de casino qui décide, on ne sait pourquoi, qui va vivre et qui va mourir ? Marie-Madeleine ne se laisse pas prendre et c’est quand la présence vraie et réelle de Dieu apparaît qu’elle en dénonce toutes les caricatures en lui crachant la révolte de ses larmes : « Si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as déposé et moi, j’irai le prendre ! » Jésus prononce alors son nom. Marie vit le second retournement : elle comprend que Dieu est de son côté, qu’il a partagé son sort et ses larmes, qu’Il pleure de notre mort et qu’Il veut la détruire. Elle saisit d’un coup ce que le jeune curé de campagne de Bernanos dira à la comtesse désespérée de la mort de son petit enfant : « Madame, si notre Dieu était celui des païens ou des philosophes, il pourrait bien se réfugier au plus haut des cieux, notre misère l’en précipiterait. Mais vous savez que le nôtre est venu au-devant. Vous pourriez lui montrer le poing, lui cracher au visage, le fouetter de verges et finalement le clouer sur une croix, qu’importe ? Cela est déjà fait, ma fille… »[3]. Il a plongé dans notre drame, n’en a rien esquivé et Il est revenu de là où nous allons tous pour nous prendre avec Lui. Au cœur de la révolte de l’amour, elle comprend que Dieu la partage et que la mort n’a pu l’engloutir. Jésus a tout traversé : la trahison, la lâcheté, l’abandon, la solitude, le désespoir, la souffrance et finalement la mort qui l’a réduit au rang de cadavre inerte au fond d’un tombeau. Mais, au moment d’expirer, il a eu ce cri de confiance, surgi du cœur du mystère de la Trinité : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Dernière illusion de celui qui se croit entendu alors qu’il plonge dans le vide ? La présence du Ressuscité nous dit : « Non ! ». Pas avec le bricolage tarabiscoté de nos savantes consolations. S’il est là, vraiment, devant Marie qui le voit enfin, alors c’est que le Père a tout offert à son Fils mort d’amour et que la mort n’a pu vaincre l’Esprit qui les unit. Le Père s’est livré à son Fils qui veut nous introduire dans cet acte d’amour que rien ni personne ne peut vaincre. Notre détresse, notre révolte sont entendues. Notre prière a un sens. Notre salut est accompli. Nous sommes recherchés. Car Il est là. Il a partagé notre sort et Il nous appelle à partager maintenant avec Lui l’acte d’amour du Père qui ressuscite en se livrant. Il nous faut monter maintenant avec Lui vers le Père.

          La petite espérance est là. Etre Chrétien, comme Marie-Madeleine, c’est avoir la folie de fonder toute notre vie sur ce témoignage des Apôtres : « Nous l’avons vu ressuscité ! ». Nos amours qui veulent l’éternité ne sont plus des illusions d’optique, des persistances qui feraient mieux de se résigner. Nous pouvons affronter la mort sans nous raconter d’histoires, ni sur Dieu, ni sur nous, ni sur elle. Nous pouvons laisser de côté les illusions du pouvoir et des ersatz du bien-être qui essayent d’acheter l’éternité en nous marchandant des durées un peu plus longues : « Encore un peu de temps », disait Madame du Barry au bourreau Sanson qui s’apprêtait à la guillotiner. Nous pouvons nous dispenser de chercher à survivre sans finalement savoir pourquoi. Il est ressuscité ! C’est cette extraordinaire nouvelle que nous avons à offrir au monde et rien d’autre.

          Cela méritait bien de demeurer trente ans dans cette grotte humide, malgré quelques excursions aériennes au Saint Pilon. Je gage que Marie-Madeleine y a continué de pleurer mais de joie, en sachant son Seigneur tout près d’elle et l’attirant auprès du Père de toute miséricorde. A notre tour d’aller vers nos frères et d’annoncer par toute notre vie : « Il est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! » Amen !


[1] Isaac de l’Etoile, Sermons sur la Toussaint, 8e sermon in PL 195, 1717.

[2] A. Camus, Le mythe de Sisyphe in Œuvres complètes, t. 1, ed. Gallimard, coll. La Pléiade, Paris, 1965, p.

[3] G. Bernanos, Journal d’un curé de campagne, ed. Plon, Paris, 1974, p. 192.

Père Xavier MANZANO, vicaire Général de Marseille.

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