Tradition/pelerinages/homelie Mgr REY_2013

Homélie de Mgr Dominique REY, Evêque de Fréjus-Toulon, à la Messe solennelle du Lundi de Pentecôte 20 Mai sur la prairie de l’Hôtellerie de la Sainte Baume »

Marie-Madeleine

 L’Evangile, c’est la vie de Jésus, mais c’est aussi la vie de ces personnages qui portent le nom de Pierre, Jacques, Jean, Zachée, Nicodème, Lazare… dont la vie a été bousculée au contact de Jésus.

 

Notre foi a besoin de chacun de ces itinéraires (aucun n’est de trop ! aucun n’est superflu !) pour s’exprimer dans toute sa variété. L’Evangile serait tronqué et incomplet sans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine., l’entretien avec le jeune homme riche, le reniement de Pierre racheté par sa triple confession d’amour…

 

Notre propre cheminement personnel face à l’appel du Christ s’identifie tour à tour (au gré de nos consentements, de nos peurs, de nos générosités ou de nos lâchetés) à chacun de ces personnages. Nous sommes tout à la fois, au fil des aléas de notre vie, des Thomas incrédules, des paralytiques invités à marcher, des Marthe et des Marie de Béthanie, des bons et des mauvais larrons.

 

Je ne sais si l’affirmation de Maurice Blondel s’avère exacte : « Sans Marie-Madeleine et ses compagnons, la Provence ne serait pas ce qu’elle est ! », mais ce dont je suis sûr, c’est que sans le témoignage de Marie-Madeleine, notre foi ne serait pas la même ! Elle est en effet un personnage unique qui accompagne Jésus de bout en bout depuis le début de son ministère public jusqu’au matin de Pâques. Marie-Madeleine parcourt toutes les pages des évangiles derrière Jésus, avec persévérance. « Elle connaît Jésus par cœur, « par le cœur », un cœur purifié qui accueille ce que Dieu veut en lui accomplir.

 

Il y a une grille de lecture des Ecritures qu’il nous faut toujours respecter : on lit l’Evangile à partir de la fin. Comme pour les disciples d’Emmaüs, la Révélation se dévoile à rebours, à partir de son accomplissement, en partant de la Pâque du Christ qui justifie le chemin jusque là parcouru. « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire », commente ainsi Jésus dans sa catéchèse à ces pèlerins désabusés.

 

De la même manière, on ne comprend la vie de Marie-Madeleine qu’à partir du dénouement du matin de Pâques, lorsque le Ressuscité lui enjoint « Va dire à tes frères que je monte vers mon Père ». Les évangélistes ont eu grand soin de présenter et d’interpréter les détails de sa vie, chaque épisode de son histoire, à la lumière de sa vocation missionnaire qui éclate clairement après la Résurrection. Ainsi Marie-Madeleine est-elle entrée peu à peu dans sa mission « d’apôtre des apôtres » (selon la belle expression des Pères de l’Eglise). Chaque scène de l’Evangile, au contact de Jésus, la prépare, la façonne, la prédispose à cette mission.

 

Je retiens seulement quelques moments significatifs et explicites dans les Evangiles où Marie-Madeleine peut éclairer notre vocation missionnaire puisque, par le baptême, chaque chrétien doit être un témoin, témoin par sa vie mais aussi par ses paroles de la Bonne Nouvelle du Salut.

 

1er moment, c’est l’élection de Marie-Madeleine. C’est la naissance de sa vocation dès sa première rencontre avec le Christ. Les Evangiles restent silencieux sur les modalités de cette rencontre. Un dialogue ? Une invitation pressante du Maître ? Nul ne le sait. Sans doute, deux regards qui s’échangent ; l’un de compassion, l’autre de désir. Seule certitude soulignée par l’Evangile de Luc. « Les Douze étaient avec Jésus, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies, dont Marie appelée la Magdaléenne, de qui étaient sortis 7 démons… » (Lc 8, 2-3). Ce chiffre 7 indique la plénitude du Mal dont elle était prisonnière. Marie-Madeleine avait cause liée avec le Mal. Au contact de Jésus, elle devient libre. Jésus la délivre des forces obscures. Il la rend à elle-même. Comme le dit St Augustin, « Sans Dieu, que serai-je pour moi-même ? » La mission commence par une expérience personnelle de libération. Plus on s’attache au Christ, plus on découvre en Lui la source de notre liberté. Dépendre de quelqu’un qui nous domine, constitue une aliénation. Mais s’attacher à quelqu’un qui nous aime et qui nous respecte, telle est la condition de toute réalisation de soi. Tout enfant ou tout amoureux vous le confirmera. Et c’est en cela que la Madeleine nous est contemporaine. Face aux fausses idéologies de l’émancipation, face aux revendications de l’autonomie du soi, face aux tentations individualistes du chacun pour soi… la Magdeleine offre l’exemple d’une femme qui trouve son identité, sa dignité, sa liberté, sa vocation dans la communion assumée avec le Christ.

 

2) Marie-Madeleine devient missionnaire en épousant la mission du Christ. L’Evangile de Luc l’atteste. Elle fait partie de l’entourage de jésus, de ses familiers (« ses fans »). Elle marche sur les traces du Christ. Elle s’imbibe de son mystère. Elle recueille ses paroles. Elle « apprend le Christ » (Jean-Paul II) au fil de l’œuvre du salut qu’Il accomplit sur les routes de Palestine. Peu à peu, elle apprend « à vivre de lui » (Paul). Et cet accompagnement du Christ est pour Marie-Madeleine guérissant, réconfortant, édifiant. Mais aussi, grâce à elle, Jésus peut signifier la puissance de sa miséricorde. Aux yeux des indécis et des sceptiques qui entendent la prédication du Christ, Marie-Madeleine atteste publiquement de ce que Jésus a accompli en elle. Son témoignage confirme que la parole de Jésus est efficace, qu’elle réalise ce qu’elle signifie, qu’elle libère un être pour peu qu’il se rende perméable à Dieu. Oui, c’est une vie convertie qui convertit autrui. L’Evangile n’est pas un pieux discours, mais il prend chair dans une existence pour qu’en la retournant, elle devienne alors un signe de Dieu.

 

3) Marie-Madeleine devient missionnaire surtout en plongeant dans l’épreuve de la crucifixion. L’Evangile de Jean la trouve au Golgotha. Au pied de la Croix, elle recueille les ultimes paroles de Jésus. Elle admire la foi intacte de la Vierge Marie, la fidélité du disciple bien aimé. Elle entend Jésus les donner l’un à l’autre dans une alliance nuptiale et spirituelle. « Fils, voici ta mère, Mère voici ton Fils ».

 

Marie-Madeleine assiste ainsi à la conception de l’Eglise. En Marie, mère du Christ, s’énonce la figure prophétique de l’Eglise, puisque tout ce qui est dit d’elle s’applique à l’Eglise. Dans le disciple bien aimé (que la Tradition spirituelle identifie à Jean) se dessine la figure apostolique et sacerdotale de l’Eglise.

 

Au pied de la Croix, Jésus vient élargir le cœur de Marie-Madeleine pour passer de l’attachement personnel à Lui, à l’attachement à son corps en lequel désormais résidera sa présence. La mort physique de Jésus signe la conception d’une réalité nouvelle, l’Eglise, à laquelle le Christ confie les signes sacramentels de son salut : l’eau et le sang qui jaillissent de son côté transpercé, figures du baptême et de l’eucharistie.

 

A l’école de Marie-Madeleine, tout missionnaire qui doit annoncer le Christ apprend aussi à confesser l’Eglise en laquelle s’actualise le salut. « Le Christ et l’Eglise, c’est tout un », disait Jeanne d’Arc. L’évangélisation consiste non seulement à proclamer la Bonne Nouvelle, mais également à intégrer à l’Eglise par laquelle et en laquelle Dieu se donne désormais.

 

+ Dominique Rey

 

La Ste Baume, le 20 mai 2013

 

 

 

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